La sélection des épicéas

  • La construction débute par le choix des bois. Cette étape décisive conditionne le caractère de la guitare : sa sonorité mais aussi son aspect esthétique. Afin de pouvoir uniformiser le niveau de qualité de sa production, le luthier doit employer des bois aux caractéristiques proches. Des mesures de densité et de flexion sont prises et répertoriées en début de fabrication.

     

    L’épicéa est une espèce d’arbres résineux que l’on trouve en abondance dans les massifs Alpins et en Europe de l’Est. Certaines variétés d’Amérique du Nord sont aussi employées en lutherie. L’épicéa produit un bois léger et résonnant, ce qui le rend sensible à la vibration des cordes. Il présente aussi une très bonne rigidité longitudinale (dans le sens de la traction des cordes). Ce sont ces principes qui intéressent les luthiers, mais aussi les facteurs de harpe, clavecin, piano etc. Tous les instruments à cordes sont construits avec une table d’harmonie le plus souvent en épicéa. Un bois de lutherie est un bois rare, très peu d’épicéas répondent aux exigences de qualité pour être employés en lutherie. L’arbre est abattu à maturité, lorsque la sève et les nutriments redescendent dans les racines en hiver. La coupe a lieu entre décembre et février et permet ainsi d’obtenir un bois de la meilleure qualité. L’épicéa est ensuite scié ou fendu dans le sens du fil par section. La précision du sciage est déterminante ; la qualité des tables d’harmonie est en effet directement liée au débit de l’arbre. Un bois de qualité supérieure doit présenter le meilleur rapport poids/rigidité et conserver la symétrie des tables jointées en leur milieu. Une fois débitées, les pièces de bois sont stockées avec soin pendant plusieurs années.

    On compte généralement un an de séchage par millimètre d’épaisseur de bois. On peut ainsi commencer à travailler une table à partir de cinq ans de séchage mais il est néanmoins préférable de travailler un bois plus ancien.

    Lorsque l’on observe la table d’harmonie d’une guitare, on remarque une alternance de veines larges de couleur claire et de veines plus étroites et sombres. 90 % de la matière ligneuse du bois est composée de cellules axiales ou trachéides. Celles qui se forment au début de la végétation, au printemps, conduisent la sève. Leur paroi est mince, ces cellules constituent un bois tendre ; ce sont les veines de couleur claire. A la fin de l’été et au début de l’automne, l’arbre pousse moins vite. La paroi des trachéides s’épaissit, les cellules sont plus aplaties. Ce bois plus dense est un élément structurel de l’arbre ; il donne de la rigidité à la table d’harmonie, ce sont les veines sombres.

    Lorsque le luthier choisit ses tables, il est attentif à l’homogénéité des cernes annuel. Chaque fabriquant a ses préférences en fonction du barrage employé, de la surface vibrante et des épaisseurs de la table. Si les cernes annuelles sont resserrées, on parle de table à texture forte. Elle sera plus raide mais aussi probablement plus lourde et dense qu’une autre issue d’un arbre ayant poussé plus vite.L’environnement de l’arbre influence son évolution. En fonction du terrain, de la pluviométrie et des températures, la proportion de cellules de printemps et de cellules de bois finales varient. Ce sont les arbres poussant dans des régions montagneuses autour de 1000 m d’altitude qui sont les plus intéressants en lutherie. Ils ont une pousse bien plus lente et plus équilibrée qu’en plaine.

    D’autres éléments structurants de l’arbre retiennent particulièrement l’œil du luthier. Ce sont les rayons ligneux ou médullaires que l’on observe dans le sens radial (de l’extérieur de l’arbre vers le centre). Ces cellules à paroi épaissie de un à trois dixième de millimètres de hauteur constituent la trame du bois de travers. Selon leur nombre et leur hauteur, ils conditionnent la rigidité transversale de la table d’harmonie. Les tables prélevées dans le plan radiale ou « sur quartier » présentent le plus d’intérêt puisque les rayons ligneux ne sont pas interrompus. Elles sont plus stables, moins susceptibles de se déformer et plus rigides que n’importe quelle autre prélevée hors de l’axe parfait du tronc. Ainsi, il existe de très importantes différences entre une table débitée sur quartier et une autre, même légèrement décentrée par rapport à l’axe de l’arbre. Si les rayons ligneux ne sont pas en entier mais fractionnés, la table sera plus souple en travers, la réponse molle et le risque de fatigue de la table sous la tension des cordes plus grand. Enfin, si l’arbre n’a pas poussé parfaitement droit, ou si il y a des ondulations du sens des fibres, le fil ne sera pas parallèle au plan de la table mais tranché. Pour éviter cela, les meilleures tables ne sont pas sciées mais refendues avec une lame le long du fil.

    Tous ces paramètres sont à prendre en compte lors du choix des bois, puisqu’ils conditionnent directement la réponse de la guitare. Afin de pouvoir maîtriser la construction, il est indispensable de prendre des mesures de flexibilité, de poids, de densité et de les répertorier pour chaque guitare. Cette approche méthodique constitue l’un des grands apports du luthier Daniel Friederich qui a montré la voie vers une lutherie contrôlée. Si un bois a donné de bons résultats, un autre aux caractéristiques mécaniques proches sera toujours privilégié. En sonnant la table on écoute aussi sa résonance :

    La fréquence, la durée et les harmoniques que l’on révèle en frappant la table en différents points. Avec le temps, les choix s’affinent. On peut identifier quel bois convient mieux sur un barrage donné et inversement.

     


    La maille.

     

     

    La présence de mailles (fines ondes horizontales) se réfléchissant à la lumière indique la présence de rayons ligneux.

    Les tables d’harmonie sont stockées avec soin. L’air doit circuler uniformément sur les deux faces, c’est pourquoi des entretoises sont disposées entre chaque planche.

     

    Le stockage.

     

     

    La coupe sur quartier est mise en évidence par la disposition des cernes annuelles (sur la tranche) parfaitement perpendiculaires à la surface de la table.

     

    Coupe sur quartier.

     

     

    La table est serrée entre deux gabarits rigides et un poids est appliqué sur le chevalet provisoire. Le comparateur permet de lire la déformation.

     


    Mesure de la déformation de la table en compression.

     

     

    La table est sonnée pour écouter sa réponse.

     

    Sonner la table.

     

     

     

     

    Sylvain Balestrieri–Luthier–