La guitare est un instrument dont la facture est toujours en évolution. Si de nombreuses expérimentations ont été réalisées sur le barrage de la table depuis le début du 20ème siècle, le fond est presque toujours structuré de 3 ou 4 barres transversales. A la fois réflecteur et résonateur, le fond réfléchit l’onde sonore produite par la table et renforce certaines fréquences par sa vibration propre.
.
Si de nombreux essais ont été réalisés depuis la fin du 19ème avec l’érable, le citronnier ou encore avec l’acajou par les plus célèbres luthiers espagnoles tels que Antonio de Torres, Francisco Simplicio, Santos Hernandez et d’autres, le palissandre s’est imposé pour la construction du fond et des éclisses. De nombreuses variétés existent dans le monde. Les plus employés sont le palissandre des Indes, de Madagascar, le Cocobolo d’Amérique Centrale, le palissandre d’Amazonie et celui du Honduras. Le plus recherché et précieux de par sa rareté est le palissandre de Rio ; néanmoins tous les palissandres donnent à la guitare classique son caractère, un timbre riche. Une étude menée par l’organisation LGRP comparant 16 guitares construites pour moitié avec des bois non tropicaux semble cependant démontrer que le palissandre a d’autres alternatives de choix, mais je ne suis personnellement pas convaincu.
Les résultats de l’étude sont à consulter sur le site internet http://www.leonardo-guitar-research.com
Différentes idées et méthodes de construction concernent le fond. Dans la lutherie traditionnelle, le fond est vibrant et contribue à la sonorité de la guitare. Il se comporte comme un résonateur multiple où chaque zone ou partie vibre à une fréquence donnée. Un fond mince et peu barré donnera des basses bien présentes, de l’épaisseur mais un son assez court. Si le fond est plus épais et plus fortement barré, ses modes vibratoires seront plus élevés. Il favorisera alors naturellement les fréquences aiguës et les basses seront plus modérés. Plus lourd et rigide, il contribuera à plus de longueur de son et la projection sera meilleure étant donné que l’énergie apportée par la vibration des cordes ne sera pas dissipée dans de fortes amplitudes, propres aux fréquences basses.
Dans la lutherie moderne on peut observer des fonds sans barrage. Ils ne sont alors pas massifs mais contreplaqués, constitués de plusieurs couches de plaquages de bois. Très lourds et rigides, ils ne sont pas conçus pour contribuer au son de la guitare en vibrant mais agissent principalement comme réflecteur. Ils sont par ailleurs bombés afin de concentrer l’onde sonore vers la bouche.
Lorsque la corde est mise en vibration, la table émet une série de compression à l’origine de l’onde sonore. Si la surface du fond est vernis ou polie et si aucun barrage n’entrave sa propagation, l’onde est naturellement mieux acheminée vers la bouche de la guitare.
Bien sur ces éléments de compréhension sont d’ordre général. Il n’est dans la réalité pas possible d’analyser le fonctionnement d’une guitare sans prendre en considération ses autres composantes. La table, le fond, les éclisses, le manche, tout est en interaction. Il est possible d’obtenir de l’homogénéité entre grave et aigu par différents moyens, tout est une question d’équilibre. Les choix du luthier s’affinent avec le temps et reposent sur l’observation et l’expérimentation.
Les 3 parties du fond sont calibrées à une même épaisseur. On enlève ici les traces de sciage et les irrégularités .
Deux filets d’érable, prélevés dans une feuille de plaquage de 0,6mm d’épaisseur sont réduits jusqu’à 0,4 mm avec la filière. Un ajustement micrométrique permet d’atteindre l’épaisseur progressivement.
Une demi-varlope (grand rabot) permet de jointer précisément le fond. Les éléments du fond sont fixés tour à tour sur une planche à jointer. Les chants doivent être parfaitement perpendiculaires aux faces du fond.
Les 3 pièces de palissandre des indes constituant le fond sont collées avec un cadre rigide maintenant l’ensemble à plat. Les cordes tendues par 3 cales triangulaires assurent une tension suffisante et resserrent le collage. Les filets décorent de façon sobre et élégante le fond en s’intercalant entre chaque pièce de palissandre.
L’excédent de colle est raclé ici avec une vastringue à semelle plate ou un racloir. Le fond est ensuite raboté à l’épaisseur finale.
Le fond est découpé avec une petite scie à ruban. On veille à préserver un excédent de 5mm sur tout le périmètre. Le fond sera ajusté précisément après le collage sur la couronne d’éclisses.
Le barrage est déligné avec la scie à ruban. L’acajou du Honduras est sélectionné pour sa rigidité et sa stabilité. Les barres sont découpées sur quartier, c’est à dire à partir d’une planchette prélevée dans l’axe diamétrale de l’arbre.
Les barres sont travaillées selon la courbure du fond qui est en effet cintré longitudinalement et transversalement. La hauteur de voûte est de 5 mm au centre du grand lobe. La courbure du fond lui donne une plus grande rigidité, une plus grande résistance lorsque l’hygrométrie est faible (la voûte diminue lorsqu’il fait plus sec, à mesure du retrait du fond).
Les collages sont dégraissés et texturés. En augmentant les surfaces en contact et en améliorant la pénétration de la colle dans les bois durs, les collages sont plus résistants et durables dans le temps.
Une colle chaude est employée pour le collage du barrage. Mélange de colle d’os et de nerf, les colles animales représentent beaucoup d’avantages en lutherie. Elles sont réversibles et sont donc idéales pour la conservation de l’instrument. Elles deviennent plus dures que les colles modernes en durcissant et représentent donc un atout pour la transmission de la vibration.
Le fond est placé sur un moule concave dans une presse à vide. En faisant le vide d’air, la membrane plaque le barrage fermement et de manière uniforme sur le fond.
Les barres transversales sont ajustées. C’est un travail délicat et déterminant pour la rigidité du fond.
Sylvain Balestrieri
–Luthier–